Vivre sans routine

Thème « vivre sans » de la Ligne de Coeur

Toujours curieuse des discussions des grandes personnes que j’écoutais à leur insu, j’avais compris que la routine était l’ennemie du bonheur, qu’elle était ennuyeuse, fade et que pour les couples c’était un tue-l’amour. Dans les injonctions directes que je ne comprenais qu’à moitié, il était question de routines pour prendre le bon pli, de bonnes habitudes. Je me suis demandé pourquoi routines au pluriel étaient un bienfait et routine au singulier mortifère.

Je décidais sans décider qu’aucune ne pouvait être quoi que ce soit.

Avec la vie de famille carrée et balisée qui était la nôtre, je pouvais rouler beau droit sans prendre conscience de rien. Les routines se créaient sans moi et se maintenaient sans ma volonté. Il suffisait de suivre. Tout tenait debout tout seul malgré le fait que je me faisais souvent houspiller et traiter de trublion. J’en étais profondément meurtrie mais j’avais compris qu’il était préférable d’en rigoler, de faire le clown et de laisser planer le doute que, par exemple, j’étais partie sans veste sous la neige par défi et non par méconnaissance de la saison ou que j’avais des oublis scolaires par je-m’en-foutisme et non par incapacité à me concentrer.

Mon masque de rigolote et ma capacité à retomber sur mes pattes m’ont préservé jusqu’au jour où ma famille a explosé. Fini le petit train train quotidien et sur le moment comme ado, je m’en suis fort réjouie.

Mais est-ce que vous avez déjà essayé de vivre sans routines ? Tu ne sais jamais où sont tes affaires, ni ce que tu dois mettre dans ton sac, tu ne sais même pas à quelle heure il faut commencer à faire ton sac et tu ne fais que courir derrière les impératifs, tu t’épuises à réinventer la roue chaque matin et le fil à couper le beurre tous les soirs. Tu te prends la tête cent fois par jours pour savoir si tu veux un thé ou un café, tu oublies ta pilule, tu envoies ta démission à ton futur patron ou tu te fais agresser par inadvertance.

Et toutes ces tuiles te servent finalement de tuteur. C’est ça le pire je crois. Le pire c’est que ce sont tes galères qui deviennent ta boussole.

Pendant toutes ces années je n’ai pas su instaurer la moindre des routines, aucune habitude alimentaire, aucun rituel ni au lever, ni au coucher, une fois ainsi, une fois autrement, et encore autrement le troisième jour. J’étais persuadée que la seule chose qui rendait ma vie supportable était l’absence de ronron quotidien alors que c’était la cause de tout plein de problèmes.

Pourtant j’ai essayé : pour les enfants, pour les devoirs, pour le travail, pour la famille. C’était une obsession sans résultat. Incapable. C’est sur ce mot que j’aurai du me focaliser plus tôt. Incapable.

J’ai fini par tout perdre. La famille, le travail, la santé. Plusieurs fois. Et il fallait recommencer, encore et encore sans que je ne trouve comment m’y prendre.

Ce n’est pas grave d’être incapable quand on le sait. C’est grave quand on l’ignore. Quand on le sait on peut y remédier, soit en se faisant aider, soit en se donnant les moyens de progresser. Quand on connait ses limites, on peut les repousser sans les outrepasser.

J’ai trouvé un début de solution il y a 11 ans seulement. Plus aucune obligation balisait ma route et j’ai planté ma routine au singulier, pour partir faire un truc qui me semblait totalement fou : le tour du canton de Vaud, seule et à pied avec une tente. Et la peur au ventre. J’ai dompté des centaines de petites routines au pluriel pour vivre sans routine au singulier. Et mon horizon s’est enfin ouvert.

Momentanément j’ai même pensé qu’il pouvait être sans limite. Vous savez toutes ces choses qu’on raconte en développement personnel. Je me demande maintenant si c’est vrai qu’on est limité que par nos peurs ….

Lire la suite : vivre sans limite

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